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Fiche de lecture : Le Biais Comportementaliste

Avant-propos

Voici une nouvelle catégorie d'articles qui seront publiés ici, traduisant autant d'une recherche personnelle que d'une vocation au partage de la connaissance.
La fiche de lecture sur l'ouvrage : Le Biais Comportementaliste publié aux Presses SciencesPo tend à être simplifiée et appelle à la recherche et a la réflexivité personnelle.

Thème : Faire un tableau de ce qu'est l'Economie comportementale et en faire la critique.

I) Historique de l'économie comportementale

- Apparition dans les recherches en économie et en psychologie fin des années 70. Explosion dans les années 90-2000

- Méthodologie inductive et non déductive ou analytique a l'instar des sciences sociales et politiques traditionnelles. C'est-à-dire, à partir de données brutes, empiriques, vérifiables sur un moment donné.

- Multiple et diverse : les principales = Économie du développement, neuroeconomie, économie comportementale psychologique.

- Noms importants (quantitativement dans les publications) : Richard Thaler, Gerber Simon, Daniel Kahneman, Enst Fehr, Abhijit Banerjee.

Deux développement de l'économie comportementale : 

- L'ancienne économie comportementale : plus radicale -> pas de rationalité pure donc fin des de l'économie comme d'une science des prévisions, vision socio-économique (notion de satisficing = seuil de satisfaction) = Simon ==> disparition au profit de la nouvelle économie comportementale.

- La nouvelle économie comportementale : moins de remise en cause du système économique néo-classique (économie actuelle déterminée par une individualisation des responsabilités selon une rationnalité des choix humains). Remise en cause seulement de biais à corriger pour avoir une rationalité pure donc prévisions économiques, vision psycho-économique (Prospect Theory) = Kahneman et Tversky

- Neuroeconomie = 2 découvertes : individus ne sont pas maximisateurs et égoïstes. Les individus survalorise le court terme par rapport au long terme.

- La nouvelle économie comportementale veut donc fonctionner de façon complémentaire avec l'économie néo-classique. Souhaite trouver les biais universels pour les corriger --> devient une science de gouvernement.


II) Corriger les biais par le politique

- Le comportementalisme s'inscrit dans une reprise de la rationalité Homo economicus en se présentant comme une sciences de la prévision de l'irrationalité.

- L'utilisation du Nudge = "coup de coude" façon d'orienter sans pour autant contraindre par des petites actions peu coûteuses. S'appuie sur des biais comportementaux (conformisme, aversion à la perte...)

- De là se développe une collaboration entre académiciens et décideurs politiques --> politique qui cible l'individu et son comportement, souvent en le comparant individuellement aux autres comportements individuels de façon plus ou moins ludique.

- À partir de 2004, création de nombreuses "Nudge Unit" dans les institutions gouvernementales, qui fournissent une action diffuse et plurielle.

- En France diffusion bien plus complexe, car doit s'inscrire dans le préexistant. Pas de vraie "Nudge Unit". De plus cette façon de faire a été débattue et critiquée comme n'offrant pas assez de "libertés aux individus" par de nombreux académiciens.

- Critique française : pas assez efficaces et surtout potentiellement manipulatoire sur des intérêts qui ne sont pas forcément ceux des individus. De plus friction avec d'autres savoirs comme la nutrition, ou des pratiques plus collectives et structurelles.

- Trois raisons au développement de ces méthodes depuis 15 ans : 

Harmonie conceptuelle avec la volonté de transformation des services publics. (Affinités électives = tendance actuelle à la remise en cause du nanny state/ assistanat) = opposition maternalisme étatique vers paternalisme libertarien (moins d'intervention de l'Etat sans pour autant en avoir 0)

Aspect relativement peu coûteux et efficace de ces méthodes. Contexte de Réduction de dépenses étatiques par des méthodes rapides et simples. Exemple : "compteurs intelligents". La promotion de l'efficacité se fait sur la réduction de "l'écart valeur-action" = efficacité a transformer des valeurs (Il est sain de faire du sport) en action (faire du sport).

Rôle essentiel d'entrepreurs institutionnels et administratifs dans l'intégration de ces méthodes. Promotion par des think tank sur la base de l'aversion des individus a être forcé au décisions. C'est aussi, une remise en cause des sciences sociales vers une approche moins située sur les déterminismes profonds et les effets structurels). Ils se fondent donc sur d'autres sciences moins poussées et paraissent tout aussi efficaces.


III) Remise en cause du comportementalisme

- Le nudging est une pratique sociale déjà bien ancrée dans les sociétés (adhésion aux normes sociales). On assiste donc à une tendance au "Nudge washing". Les comportementalistes n'ont rien de nouveau en réalité.

- La décision publique prend donc une définition extensive du nudge ce qui se révèle dangereux car sort d'un paradigme peu coûteux/simple. De plus, il y'a une tendance a la surévaluation de ces politiques  sur des résultats ne découlant pas des théories comportementales. Mais aussi, une favorisation la simplification des causes des problèmes sociaux. 

Cela amène à des approches paradoxalement contraires aux théories comportementales :

-> celle "spécialiste" : nudge = moyen parmi d'autres.

-> celle "hégémoniste" : nudge = moyen global de répondre à toutes les problématiques sociales.

- Tendance à éclipser les autres sciences sociales. Sauf que la rationalité proclamée est systématiquement biaisée. A cela donc trois critiques : 1) les individus recherche la satisfaction pas la maximisation de leur intérêt. 2) Selon la sociologie, la rationalité est plus étendue qu'un simple choix (fumer est-ce rationnel ?). 3) Il n'y a pas de rationalité universelle, elle est toujours anthropologiquement construite dans une situation historique précise. Or Engel l'avait prouvé par exemple les choix en fonction du revenu seront différent (part alloué du revenu décroissante en fonction de la croissance du revenu pour des biens alimentaires par exemples). Enfin, l'économie comportementale ne prend pas compte les origines déterminée et sociales des goûts et envies et donc des choix des individus surtout, ces goûts et envies ne sont pas immuables et changent au fil des évènements, expériences et contextes sociaux ce qu'on appelle la socialisation (qui se retrouve autant chez R. Boudon que P. Bourdieu.)

- D'autre part, le changement des structures de comportements n'est pas aussi aisé et n'est pas à mettre sur le même plan pour tous les comportements et selon les acteurs. Si il sera plus simple de changer des comportements sociaux, d'autres seront plus profondément ancré culturellement et trop évident pour qu'un Nudge le change (depth et taken-for-grantedness selon E. Clemens et J. Cook). L'économie comportementale a une acception limitée du changement de norme sociale. (La norme sociale a une dimension plus grande que la simple information et a une dimension contraignante).

- Les nudges revêtent donc un double objectif paradoxal : 
D'un côté ils promeuvent la "gouvernabilité" (Foucault) qui veut que "gouverner, c'est faire que chacun se gouverne au mieux lui-même" => liberté de choix jugé rationnels = notion paternaliste (≠ formation de citoyens "éclairés" selon J. Habermas.
De l'autre, ces comportements doivent être supervisés, et court-circuité dans la réflexivité des individus vers une façon pré-établie et supérieure. => Dépossession des choix.

- Les individus sont donc inégaux face a la prise de décision car immergé dans un ensemble social ("you stand where you sit"). L'analyse et l'action sociale doit prendre compte des structures de relations dans lesquelles sont encastrés les acteurs. La méthodologie empirique des nudges de permet pas de saisir, simuler, modéliser, resituer ces importantes structures de relations car trop importantes. Cela produit de l'ignorance et la rebiologisation de la connaissance sociale, recherchée uniquement dans les structures cérébrales et cognitives. (Remise en cause par exemple du fait social : comme existants indépendamment de leur manifestation individuelles (Durkheim).

-> Exemple casuel : Daniel Ho et la juridiction de classement des restaurants au États-Unis. Une note A, B ou C pour simplifier et créer un nudge d'amélioration. Pourtant, il n'y a pas de prise en compte de la relation inspecteur sanitaire-restaurateur qui mine alors tout le système (démarches pour être réhaussées, malhonnêté des inspecteurs pour limiter les problèmes avec restaurateurs...). Vision sous-socialisé de la réalité comme une collection d'individus échangeant de l'information et non pas ayant de réelles relations complexes. = Pose problème car l'économie comportementale se dit se suffir à elle-même.

- L'économie comportementale veut imposer un système de contrat social total fondé sur l'individualisation des risques. Mais 1) Quelle efficacité réelle ? Aspect uniquement ludique jusqu'à l'épuisement du nudge vers un retour aux habitudes antérieures. 2) Quelle ambitions pour ces nudges ? Une ambition limitée de changement profond. Pas de recherche, seulement sur des comportements clairement identifiés et délimités : de surface. Or les problématiques sociales sont multidimensionnelles. Nudges ne fonctionnent que lorsqu'ils prennent en compte la densité relationnelle et culturelle d'une société donnée en prêtant des outils institutionnels forts aux individus. (Exemple de la lutte contre SIDA en Ouganda, très ciblée et prenant compte des communautés vers une lutte nationale. Et en Californie où les communautés LGBTQ+ ont associée la lutte contre le SIDA à la fierté communautaire. = Prise en compte des dynamiques collectives.


IV) Conclusion

- Le Nudge est loin d'être une notion nouvelle. Elle s'appuie sur l'analyse néo-classique et risque d'entraîner un "nudge washing", pour des résultats pour autant tout relatifs.

- L'économie comportementale se caractérise par une méconnaissance et une aversion pour la connaissance des sciences sociales jusqu'à remettre en cause tout un pan de la connaissance. Cela explique, "l'écart entre les promesses politiques d'un tel développement et la modestie des résultats". Tout en s'écartant des sciences sociales, la dynamique est a se rapprocher des sciences neuroscientifiques et biologistes prétendant a une connaissance totale de l'humain.

- Cette critique de l'individualisation scientifique ne date pas d'hier et semble se perpétrer a contrario de se que clame les penseurs de l'économie comportementale. Ce qui a de neuf est l'alliance objective inédite avec les neurosciences qui semble donner aux politiques comportementales une velléité hégémonique dangereuse et contre-productive.


Vive le socialisme, vive l'autogestion, vive le communisme, vive la connaissance, vive la recherche. Bienvenu.e camarade, et continuons ensemble l'objectif de connaissance de notre monde pour faire société.

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